mardi 11 février 2014

Et pourtant, ici, j’ai été le plus heureux des hommes - Ljubljana

1189e jour - Celui que tout le monde appelle “l’écrivain slovène” dit : C’est ici que j’ai écris mon premier livre publié. Et aussi le second, celui qui a connu un succès retentissant chez vous. Oui, dans cette guérite !
Aujourd’hui, mon travail est mondialement reconnu, je suis invité à participer à des colloques aux États-Unis ou en Australie, je vis dans une magnifique villa. Mon bureau, à lui seul, est huit fois plus grand que cette guérite. Et pourtant. C’est sans doute à cette époque-là que j’ai été le plus heureux des hommes.
On avait dégoté ce boulot de garde avec mon cousin : lui faisait les matinées, moi les après-midi.
On avait la radio, la télé. L’été, on sortait les chaises, on passait l’essentiel de notre temps à l’extérieur. L’hiver, il n’était pas rare qu’il y ait soixante centimètres de neige. Pour se chauffer, on avait juste un radiateur d’appoint – on a eu les pieds glacés plus souvent qu’à notre tour. Mais c’était un boulot tranquille.


Et puis, dans cette guérite, pendant plus d’un an, j’y ai passé mes nuits. À l’époque, l’usine n’était pas encore aux trois-huit. Elle fermait à  vingt heures. Le patron m’aimait bien, je venais de quitter ma femme, je n’avais nulle part où loger : il m’avait autorisé à y dormir. J’avais une natte, un duvet que je remisais la journée dans ma voiture.
Je dormais recroquevillé sous le bureau, après avoir écrit mon lot quotidien de pages. J’étais heureux.
Sur une étagère étaient posés mes dictionnaires, à côté de ma machine à écrire. Et puis un ou deux livres, Nabokov, Cendrars… Les gars de l’usine se demandaient ce que je pouvais bien avoir tant à écrire… Je ne sais pas s’ils savent ce que je suis devenu, et ce qu’ils peuvent bien en penser.

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