mercredi 30 avril 2014

Vingt-trois jours plus tard - Kyoto

1267e jour - Sachiko… Un dimanche en début d’après-midi alors que nous passons devant par hasard, elle tient à me faire visiter l’école dans laquelle elle donne ses cours.
Nous traversons des couloirs, nous grimpons des escaliers. L’établissement est vide. Nos pas résonnent.
Nous finissons par arriver devant ce qui est sa classe. Je pénètre religieusement. Elle se tient derrière moi. Je sens son souffle sur ma nuque.
La salle est vide de tout signe distinctif et je ne peux m’empêcher de penser que ça c’est quand même très japonais.
J’observe son micro bureau… Une fraction de seconde je l’imagine, elle, allongée dessus, jupe relevée. Et moi qui la prends. Comme dans un mauvais porno. Mais j’entends sa voix dans mon dos.

Elle dit : J’étais assise là, à la pause, il y a vingt-trois jours exactement quand mon téléphone a sonné – je l’avais rallumé pour consulter d’éventuels messages. J’ai entendu une voix d’homme que je ne connaissais pas. C’était un des internes de l’hôpital où était mon frère. Je me souviens vaguement de mots : opération, hémorragie, défaillance cardiaque… Les élèves commençaient à arriver… Je ne savais quoi faire… Alors, j’ai rassemblé mes affaires. Et comme s’il y avait eu un feu, je me suis mise à courir. J’ai dévalé les escaliers. Je me suis retrouvée dans la rue. Et là, à ma surprise d’une certaine façon, je me suis mise à crier.

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mardi 29 avril 2014

Métaphore, mise en abyme - Kyoto

1266e jour - Mise en abyme : un miroir dans un monde lui-même miroir. Et cette fille qui photographie et dont on ne voit qu’un reflet, en elle je me reconnais.

Métaphore : des mots pour dessiner les contours du monde… Écrire pour couvrir… Là aussi, forcément, je devine comme un écho à ma démarche.

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lundi 28 avril 2014

Trois filles à vélo - Kyoto

1265e jour - Quelques rues durant elles se sont suivies, avec toujours une égale distance entre elles, si bien que j’ai fini par les croire sœurs ou amies – du moins ensemble. Mais l’une d’elle (celle qui fermait la marche) a fini par prendre à droite alors que les deux autres continuaient. Et puis, au carrefour suivant, celle qui était devant a posé pied à terre alors que l’autre poursuivait sa route, disloquant ainsi définitivement le peloton éphémère.

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dimanche 27 avril 2014

Gardien de nuit - Kyoto


1264e jour - Ichiro n’a pas toujours été détective : il a commencé par être gardien de nuit pour différents consortiums industriels.
Il hantait des lieux souvent vides de toute présence.
Il dit : Je n’arrivais généralement pas à dormir alors je passais des heures à errer ou bien, le front collé contre une vitre, à observer le dehors.
Quand le verre autour de ma bouche finissait par être trop embué, je me déplaçais.
Je me souviens d’une fois où une moto a brûlé sur le trottoir d’en face – je n’avais pas vu comment ça avait démarré. Je m’étais demandé s’il fallait intervenir. Mais finalement, je n’avais pas bougé…
Une autre fois, j’ai surpris un couple en train de faire l’amour sur le parking de l’entreprise. Le pantalon de l’homme tombait sur ses mollets, la jupe de la femme était relevée… Il se tenait derrière elle… Elle sursautait à chaque élan de son partenaire… J’ai tenté ce jour-là de les photographier avec mon téléphone mais à l’époque je n’avais pas un appareil aussi performant qu’aujourd'hui. Ça n’avait rien donné : juste une masse floue dans la nuit en lieu et place de leurs corps.

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samedi 26 avril 2014

L’amour des temps morts - Kyoto

1263e jour - Ichiro n’a pas vingt-cinq ans mais il parle comme un type plein de métier. Il dit : Mon boulot consiste essentiellement à suivre des gens dans Kyoto. Des hommes, des femmes. Des heures durant. Ma tenue préférée pour me fondre dans le décor est celle d’un salaryman lambda. Je pousse le vice, pour parfaire mon costume, jusqu’à glisser des mangas dans mon attaché-case pour rendre son volume plus crédible.
Souvent il ne se passe rien mais j’observe.


Parfois, je me tiens sur le même trottoir que la personne que je suis, parfois sur le trottoir d’en face. Parfois je m’approche, parfois je ralentis pour me laisser distancer – c’est comme s’il existait un fil élastique entre moi et ma “proie” que je choisis au grès des humeurs de plus ou moins tendre.
J’adore quand il pleut même si je finis par être trempé car mon parapluie est un paravent derrière lequel je me cache. J’ai l’impression, alors, d’être totalement transparent. Je me colle, tout près – vraiment tout près. Jusqu’à sentir le parfum de la personne que je suis.


Quand il s’agit de prendre des photos, j’utilise mon téléphone, c’est pratique. Avant, les gars devaient user de mille ruses pour dégainer leurs appareils – souvent avec des zooms insensés. Ils étaient confrontés aux limites des pellicules, ils ne voyaient qu’au développement le résultat de leur travail… Même depuis que j’ai commencé, les appareils ont fait des progrès incroyables. Oui… Mais ça reste un métier fatigant. Il ne faut pas avoir peur de marcher ou de poireauter des heures durant sans qu’il ne se passe rien. Mais moi ça me va. Au contraire même. J’adore les temps morts.

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vendredi 25 avril 2014

Deux images qui se répondent - Phoenix


1262e jour - Difficile de dire pourquoi on a l’impression parfois que deux images, fondamentalement, se répondent.
Ici, il faudrait évoquer les jeux entre verticalité et horizontalité, ou encore entre lumière et ombre. Il faudrait parler de la sensation que l’on éprouve, les observant, de faire face à un incommensurable vide.

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jeudi 24 avril 2014

La place des mots - Phoenix








1261e jour - Je lis…
Everyday People Making a Difference  /  Taste Greatness  /  Fins Up. Phoenix !  /  Aeroflow, Dry-Cold, Milk Cooler  /  Dallas Cowboys ou Cincinnati Bengals ou Miami Dolphins  /  Egg Salad & Cup, Half Egg Salad & Cup, Chicken Salad & Cup  /  Every Dollar Brings Us Closer to Finding Cures, Your Support Really Helps
J’aime les mots. J’aime les mots dans les images. Ils sont mon exotisme.

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mercredi 23 avril 2014

American Legion Post # 1 - Phoenix








1260e jour - Difficile de se mettre dans la peau de celui qui viendrait ici en habitué.
Je me fais tout petit. J’observe – un couple au bar, un type qui lit son journal dans ce qui doit faire office, aux heures des repas, de cantine, de mess.
Je relève aussi des noms sur les plaques accrochées : Post 61 Avondale, AZ. ; Post 419 Santa Clara, CA. ; Post 247 Arcadia, CA ; Post 26 Niles, MICH. ; Post 4 Mount Clemens, MI., etc.

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mardi 22 avril 2014

Cruciverbiste - Phoenix





1259e jour - À Phoenix, j’ai rencontré une inconditionnelle des mots croisés – c’était dans un salon de coiffure qu’aujourd’hui je ne saurais plus situer sur une carte ; peut-être était-ce dans l’est de la ville. J’étais rentré là un peu par hasard. Pour me faire couper les cheveux autant que pour observer.
La femme attendait son tour tout comme moi, assise dos à la vitre (à la rue), elle alignait des mots sur une grille.
En fond sonore passait un vieil album de Billy Joël.
Elle enquillait lettres et mots à la façon d’une machine.
Mais il arrive que les machines s’enrayent et la femme, soudain, au bout d’une dizaine de minutes, s’arrêta, sourcils froncés. Elle resta ainsi figée une trentaine de secondes avant de prendre la parole, voix haute (visiblement les coiffeurs avaient l’habitude) : “Pas facile à monter ? Six lettres…”
Je me suis entendu répondre “bronco” (je venais la veille de regarder un documentaire sur le rodéo). Et voilà. Nous avons engagé la conversation. Elle m’a appris, entre autres, qu’elle faisait partie d’un club de cruciverbistes sur internet et que c’était par le biais de ce club qu’elle avait rencontré celui qui n’allait pas tarder à devenir son troisième mari. Il devait arriver dans la soirée. C’est pour ça qu’elle était là, pour se faire une beauté. Le futur mari habitait Baltimore. Elle ne l’avait pas vu depuis deux mois.

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lundi 21 avril 2014

Les sols de Phoenix





1258e jour - J’aimerais comprendre les sols de Phoenix immanquablement pleins de vergetures. Ça a sans doute à voir avec la chaleur, avec les écarts de température entre le jour et la nuit. Le revêtement, partout ou presque, ressemble à un dessin d’enfant fait de courbes enlacées.
Parfois les failles sont des gouffres vertigineux à l’échelle d’une fourmi. Parfois les ravines sont comblées. Et parfois aussi, quand elles sont comblées, il semble qu’elles ont été peintes par-dessus dans un geste pseudo-artistique (à moins que cet anthracite qui marque le sol soit la couleur même de l’enduit).
Chaque rue, sous les roues des voitures, produit sa propre musique, fonction des ornières, des creux et des pleins, des traces du temps qui est passé.

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dimanche 20 avril 2014

De dos - Phoenix




1257e jour - Aujourd’hui, j’ai longuement observé trois femmes plus ou moins installées devant un ordinateur (dans le cas de l’une d’elles, l’ordinateur tenait lieu de caisse enregistreuse).
J’ai noté la couleur de leurs cheveux, la manière dont ils tombaient sur leurs épaules. J’ai relevé la façon dont elles étaient habillées. Je leur ai rêvé des prénoms et, plus encore, des vies…
Je ne les ai vues que de dos. Je ne sais (et ne saurai jamais) rien de leurs visages. Je n’ai d’autres choix que de les imaginer. Mais, d’une certaine façon, ça me va.

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samedi 19 avril 2014

Ma femme est un génie - Phoenix

1256e jour - Il m’a dit : Ma femme est un génie ! Et moi, comme un imbécile, je l'ai cru. On était au comptoir d’un bar sur Van Buren. Il venait d’engager la conversation après s’être rendu compte que je feuilletais un catalogue d’exposition.
Il m’a dit : Elle peint. Des paysages dans la tourmente. Des arbres dans la tempête, des bords de mer. C’est figuratif mais ce qui ressort, quand on regarde ses tableaux, c’est la force des éléments – elle a le sens de ça, je veux dire pour représenter l’énergie des éléments.
Il a rajouté : Elle expose dans une galerie dans le nord de la ville. Si vous voulez, je vous file l’adresse. Allez jeter un œil. Vous ne serez pas déçu. Pour l’instant, il n’y a qu’une seule de ses toiles mais elle vaut le détour. Tenez !…
Et il a griffonné l’adresse de la galerie sur une serviette en papier. Et le nom de sa femme aussi : Clara Kellerman.
Finalement, aujourd’hui, je suis allé voir. En fait de galerie, il s’agit d’une boutique qui vend des bibelots, des fringues. Le “tableau” est posé sur un boîtier d’interrupteurs près de l’entrée.
La vendeuse elle-même a eu l’ai surprise quand je lui ai expliqué le but de ma visite. Elle m’a demandé : Vous ne venez tout de même pas de France pour ça, hein ?

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vendredi 18 avril 2014

L’homme au bras cassé - Phoenix

1255e jour - Un arrêt de bus le long d’une avenue sans fin. Début d’après-midi. Le soleil tape, éblouit. Mais l’homme au vélo se tient dans la lumière (il suffirait pourtant d’un pas en arrière pour gagner l’ombre).
Son avant-bras gauche est plâtré. Tête inclinée, il semble en recueillement.
Peut-être ne cherche-t-il qu’à étirer les muscles de sa nuque. Peut-être se perd-il dans l’observation attentive du béton à ses pieds (de sa granulation, des taches qui constellent sa surface…) ou alors d’une fourmi.

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jeudi 17 avril 2014

Je ne sais pas ce qu’ils attendent - Phoenix


1254e jour - En début de soirée, je les ai vus s’enlacer, je pourrais le jurer ! Un homme et une femme dans un des rares bureaux encore éclairés de la tour d’en face. Lui en costume cravate, elle en chemisier blanc. Il la tenait serrée contre lui, mains plaquées sur ses fesses.
Alors depuis, je guette. Ça fait plus de deux heures que je guette ; que je scrute au-delà du lampadaire, que je m’esquinte la vue à force.
Il y a une demi-heure, s’est abattu un orage démentiel. Mon premier orage d’Arizona. Maintenant, la foudre n’est plus qu’un grondement lointain mais mes vêtements sont trempés.
L’homme et la femme sont toujours en train de travailler. Ils sont seuls à leur étage. Je les aperçois de temps à autre qui traversent, affairés, les grands espaces de leur plateau.
Il est près de minuit.
Il y a deux minutes, je les ai vus se rapprocher l’un de l’autre, j’ai cru qu’était venue l’heure du grand spectacle. Mais l’homme s’est contenté de tendre une feuille à la femme qui aussitôt est retournée à son écran.
Ils se désirent ardemment, j’en suis certain.
Je me demande bien ce qu’ils attendent.

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mercredi 16 avril 2014

Une autre fille, une autre fois - Grenoble

1253e jour - Je ne me rappelle quasiment plus rien d’elle. Je crois qu’elle se prénommait Agathe mais je ne pourrais pas le jurer. Je me souviens juste qu’elle habitait là, au 5, Place de l’Étoile, au troisième étage – un appartement sans grand intérêt, avec des pièces en enfilade, un micro-balcon…
Bizarrement, m’est toujours resté en mémoire, seul détail concret, un mot qu’elle avait punaisé dans ses toilettes. Sur une feuille arrachée à un carnet était écris : Agir en primitif et prévoir en stratège.

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mardi 15 avril 2014

La netteté des ombres - Paris

1252e jour - Une nuit, alors que nous ne dormions ni l’un ni l’autre, elle me dit qu’elle avait remarqué que la différence de taille entre nous était telle que mon ombre, au sol, avait un contour plus flou que la sienne.
Sur l’instant, je n’avais d’abord pas voulu la croire.
Mais le lendemain, alors que nous marchions côte à côte dans ce coin de la rue Lecourbe du côté de Lourmel, j’eus l’opportunité de vérifier qu’elle avait raison.
C’est ce jour-là – impressionné qu’elle ait pu faire pareille découverte, je crois – que je me suis mis, réellement, à me sentir proche d’elle.

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