2497e jour - Amsterdam. À côté de la statue de la Liberté évoquée hier, il y a l’hôtel Prins Hendrik dont tous les inconditionnels de Chet Baker connaissent le nom.
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François Forestier dans le Nouvel Observateur, numéro du 10 janvier 2017 :
Un peu de sang sur le pavé ; le corps gît face au canal, dans la nuit de mai. Il est 3 heures du matin à Amsterdam, le néon de l’hôtel Prins Hendrik grésille. Un policier arrive, soulève Chet Baker. "Is dood" – il est mort. Le visage du jazzman, marqué par la came et la douleur, est strié de rides, joues creuses, regard déjà terne. Dans la main, il tient quelque chose, sous sa poitrine. Le policier regarde : une trompette. Dans la chute, elle a été aplatie. Chet Baker est parti avec son instrument magique. Cet homme, qui a donné la plus belle, la plus douce version de "My Funny Valentine" – do, do majeur 7, do 7, si bémol majeur 7, fa 7 (bémol 5), sol 7 (bémol 9) – est là, dans Zeedijk, le quartier des putes, des macs, des marins en bordée, des dealers et des toxicos. Il a 58 ans en 1988. Il n’en aura jamais 59. C’est la fin de la route, pour lui.
La police classe vite cette mort sous la rubrique "suicides", point final. Juste un drogué de moins. Sauf que… Sauf que la fenêtre à guillotine de la chambre 210 ne s’ouvre que sur 30 centimètres, pas assez pour un suicidaire. Et, du deuxième étage, le choc de la chute est-il assez puissant pour tuer ? La légende – mais est-ce bien une légende ? – naît là : des dealers sont venus se faire payer, et Chet Baker, fauché, a tenté de négocier. Ils ont menacé de lui arracher sa trompette. Il s’est défendu. Il a été balancé dans le vide. A Zeedijk, les junkies font courir la rumeur : Chet Baker est un héros de l’héro.
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