samedi 7 septembre 2013

Le sourire de Nathalie Baye - Dieppe


1133e jour - On dirait Nathalie Baye. En un peu plus maigre. En un peu plus marquée aussi. Mais le même sourire, la même bouche. Elle est serveuse dans un petit café de Dieppe qui donne sur la place St-Jacques.
Elle sourit beaucoup, comme sourient les gens réservés. Et ça la rend terriblement touchante.
Il y a un type aussi, au comptoir, un habitué, plus tout jeune, qui pourrait être son père et qui la drague un peu, l’air de rien, en rigolant : Lumineuse comme vous l’êtes, c’est sûr, tiens, que vous pourriez faire mon bonheur (j’ai noté la phrase pour ne pas l’oublier). Les propos généralement sont prolongés d’œillades langoureuses et de clins d’œil complices/égrillards.
Hier, hier au soir semble-t-il, alors qu’elle était aux toilettes, il a glissé une bouteille de vin dans son sac (sac accroché au portemanteau ; portemanteau posé au fond après le comptoir). Pour déconner ; elle ne boit pas. Elle a découvert la bouteille en partant (elle finit son service à 9 heures). On a alors feint, dans l’assistance de ne pas être dupe et de croire qu’elle l’avait subtilisée, qu’elle s’était mise à l’alcool. On s’est bien amusé. Aujourd’hui encore, le sujet revient. Continuellement. On ne s’en lasse pas. Et à chaque fois, Nathalie Baye sourit, gênée, et rougit un peu, parce que l’attention se porte sur elle.
Embarquer une bouteille ! Une demoiselle aussi charmante !
On la menace, du coup, d’une fouille au corps systématique, le soir avant qu’elle ne rentre chez elle. Il faudra bien en passer par là ! Pas le choix !… Notre homme, celui qui la drague un peu, se déclare prêt à s’y coller. Rires gras. Elle hausse les épaules.
Il embraye : Mais dites moi, au fait, je sais, ça ne me regarde pas, mais qu’est-ce que ça peut bien faire d’une bouteille une jeune fille toute seule qui ne boit pas ! Hein ? dites-moi ?!


On ne peut pas dire que ce soit très fin, mais bon, ici on vous dira que ce n’est pas bien méchant non plus. Et qu’il faut bien s’amuser. Pas de quoi fouetter un chat. Et donc ça continue. À être lourd, autant l’être vraiment. On en fait des tonnes : Alors, hein ?! Moi j’ai bien une petite idée… Alors Nathalie Baye lève les yeux au ciel dans un geste d’indignation qu’elle tente complice. Et, plutôt que de répondre, elle se contente de sourire.
C’est un petit établissement : à peine huit tables pour la plupart inoccupées et cinq, six habitués qui se relaient au comptoir. Il y a un panneau La maison ne fait pas crédit au-dessus de celui-ci, accolé à toute une rangée, impressionnante, de sirops Vedrenne (dix-huit bouteilles au total) ; il y a une assiette/horloge, murale, avec motif à fleurs. La plupart du temps entre les rires et les railleries s’étalent de longs silences et l’on perçoit alors nettement son tic-tac métallique. Aux heures, l’horloge carillonne – un affreux carillon de synthèse. C’est tout pour la musique. Pas de disques, pas de radio en fond sonore. Dehors, il pleut un peu (une bruine intermittente, qui vient par vagues). Les vitres sont embuées. La nuit tombe.
Voilà.
Une fin d’après-midi à Dieppe. En semaine. En hiver.
 Nathalie Baye fatigue. Elle est là depuis neuf heures ce matin. Encore deux heures à tenir. Elle se fait un café. Elle mange un carreau de chocolat. Elle esquisse un sourire fatigué.
Nathalie Baye s’appelle Christel.

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