2710e jour - Un immeuble new-yorkais que je découvre lisant La Femme du Voisin de Gay Talese, construit en 1907, orné de colonnes à chapiteaux, de fenêtres cintrées, le long d’une façade ornée d’écussons de métal, avec, au-dessus du deuxième étage, les initiales du “propriétaire millionnaire qui s’en était enorgueilli, EWB”. Edward West Browning, connu sous le nom de “Papa” Browning qui fit scandale en son temps en ayant une aventure avec une jouvencelle à peine âgée de quatorze ans.
Si Gay Talese, évoque cet immeuble c’est surtout parce qu’il a abrité les locaux de Screw, tabloïd pornographique qui fit scandale, à la fin des années soixante, au début des années soixante-dix, la gloire d’Al Goldstein, son fondateur, en abordant toute la diversité possible des élans sexuels. Le magazine est célèbre pour avoir été le premier à évoquer la sexualité de J. Edgar Hoover, avec un article courageux pour l’époque intitulé “Is J. Edgar Hoover a Fag?”
Ce qui est fascinant, ici, c’est d’imaginer ce qu’était il y a une cinquantaine d’années cet immeuble où le prix du mètre-carré doit être totalement délirant aujourd’hui. Le quartier – celui d’Union Square – était encore sinistre, sinistré, sombre, malfamé. Personne ne voulait s’installer dans le coin. Gay Talese : “vers 1970, les locaux des étages supérieurs étaient loués à des occupants qu’en d’autres temps on aurait qualifiés d’indésirables. En plus de Screw, qui occupait le onzième étage, il y avait au dixième le quartier général du parti communiste américain ; et le dernier étage abritait une communauté de jeunes homosexuels qui avaient aménagé en résidence les vieux bureaux de Browning.”
Gay Talese, toujours : “L’un des locataires était un artisan qui fabriquait des coups-de-poing américains en cuivre. Il y avait un groupe d’hommes entre deux âges qui se retrouvaient un soir par semaine pour jouer avec des trains électriques dont les circuits emplissaient une salle entière. Il y avait la rédaction d’un magazine d’horreur intitulé Monster Times et, à un autre étage, celle d’un périodique à scandales : Peeping Tom. Un homme du monde […] avait fait de son étage une retraite romantique et un atelier d’artiste. Là vivait aussi une dame rousse solitaire […] qui recevait la nuit la visite de sa sœur jumelle.” Et puis, un peu avant noël 1970, deux anciens propriétaires de chaînes de fast-food louèrent le neuvième étage pour y établir un salon de massage qui attira bientôt tout un lot de visiteurs en quête de massages spéciaux.