samedi 4 mai 2013

Traquer Ellroy, l'enquête parallèle (sous l’œil du Tigre - 2)

1024e jour - Petit rappel : GianPaolo Pagni, illustrateur-affichiste-peintre de génie tient une rubrique mensuelle dans le Tigre. Cela s’appelle Enquête au tampon.
Sur une page, chaque mois, il dresse le portrait d’une personnalité, en creux, à partir de traces trouvées.
Techniquement, il se rend en un lieu qu’il sait lié à ladite personnalité, il engrange des indices dont il prend les empreintes ; ensuite, il dresse l’inventaire de ses découvertes.
Au fil des mois, il a déjà traqué Carla Bruni, Mao Tsé-Toung, Sophie Calle, Jacob et Wilhelm Grimm, Georges Perec ou Saint François d’Assise (pour ceux que cela intéresse, les précédentes enquêtes au tampon sont consultables ici).
Dernièrement, GianPaolo Pagni m’a proposé que nous enquêtions en parallèle, chacun avec nos outils, lui dans le Tigre, moi sur Dreamlands. Nous avons traqué David Lynch à Paris. C'était début mars.
L’expérience s’est avérée enthousiasmante, au point que nous ayons envie de remettre ça.
Du coup, fin mars, j’ai reçu ce mail :
Salut Olivier,
Je vais enquêter sur James Ellroy.
En 2011, il a déjeuné dans ce resto :
Le Télégraphe - 41 rue de Lille 75007 Paris - Tél : 01 58 62 10 08
en compagnie d'un éditeur et du dessinateur de bd Miles Hyman (c'est lui ma source).
Si ça te branche je pourrais te donner des infos plus précises concernant la date.
L’enquête, pour moi, pouvait commencer.


Insert 1 
James Ellroy, au hasard d’une interview : “Qu’est-ce que j’en ai à foutre de Paris, de Sacramento ou Rome ?” (L’Hebdo).
La date précise du rendez-vous au Télégraphe est le 30 janvier 2011. Un dimanche d’hiver, ni particulièrement froid ni particulièrement gris (+ 1° C ; des éclaircies).
James Ellroy est en pleine campagne de promotion de La Malédiction Hilliker. Une semaine déjà qu’il est en France. Le 24 janvier, il a fait une lecture d’extraits au Théâtre Marigny, debout derrière un pupitre – voix puissante, diction précise. “Parfois un geste ample, un hurlement démentiel, une expression argotique soulève la salle.” (Le Figaro).
Le 25, il était à Rouen (librairie l’Armitière). Dédicace.
Le 26, il était à Lille (Le Furet du Nord). Dédicace…
Le 31 (le lendemain du rendez-vous), il signait au Virgin Megastore des Champs-Elysées.
Il a également enchaîné les interviews, nombreuses. Hebdos, télés, radios…
Sur internet, rétrospectivement, on peut le suivre à la trace. On peut savoir, chaque jour, comment il était habillé : pull noir par-dessus une chemise, pull rouge vif…
En janvier 2011, il a le crâne rasé. Il porte des lunettes à monture métal. Il a soixante-deux ans. Il a fait le déplacement parisien avec Erika Schickel qu’il a rencontrée pendant qu’il écrivait le livre. Il est amoureux. Il en parle dans les interviews.
Pendant que lui enchaîne les rendez-vous, Erika Schickel joue à la touriste. 


Et puis, donc, il y a ce repas du dimanche au Télégraphe. Un éditeur. Et Miles Hyman.
Insert 2
En janvier 2012, une adaptation du Dahlia noir sera annoncée : scénario de Matz (aidé par David Fincher !), images de Miles Hyman. La BD étant alors prévue pour début 2013. Sauf grand retard, elle ne devrait pas tarder à se retrouver en librairie.
Il y a des chances que l’éditeur mentionné par GianPaolo Pagni soit François Guérif car c’est lui l’initiateur du projet. En janvier 2011, on est encore en pleine phase de négociation (Ellroy est du genre coriace, il ne sera pas facile à convaincre).
Qui a choisi le Télégraphe ? Autour de quoi ont tourné les conversations hors négociations ? On peut émettre des hypothèses. Il faudrait demander. À Miles Hyman, par exemple (plus facile de le contacter lui, plutôt que James Ellroy). Mais se souviendrait-il ? Et puis cela est-il si important.
J’essaye d’imaginer les trois hommes. Dans la grande salle (6,30 m de hauteur sous plafond). Ou sous la verrière qui donne sur le jardin intérieur. Les deux scénarios ont leur charme.
Un verre de Monbazillac à l’apéritif. Une conversation quasi chuchotée ; et parsemée d’éclats parce que quand même ! C’est Ellroy.


Le bâtiment (1905 ; Art nouveau) est classé Monument historique, Ellroy le sait-il ?
Lui qui vient d’écrire un livre sur les femmes de sa vie – sur son obsession des femmes – sans doute serait-il amusé d’apprendre (ou l’a-t-il était s’il l’a appris) qu’avant de devenir un restaurant, les lieux étaient la Maison desDames des Postes, Télégraphes & Téléphones. Une drôle de dénomination en ce début de XXIe siècle.




Le bâtiment, en fait, hébergeait les opératrices qui géraient les communications téléphoniques – ces voix qui vous demandaient quel était le numéro de correspondant que vous désiriez joindre. Et elles étaient nombreuses, ces opératrices. Elles logeaient dans les étages (elles étaient souvent originaires de province) : cent onze chambres sur sept étages. Avec trois bains-douches par niveaux.
Elles prenaient leurs repas dans la grande salle à manger ouvrant sur le jardin d’hiver, là même où Ellroy a déjeuné. Et pour passer le temps, quand elles ne travaillaient pas, elles lisaient ou écrivaient à leurs parents restés en province.
À l’époque, Orsay, juste à côté, n’était encore qu’une gare.


Le numéro 29 du Tigre (mai 2013). Sortie le samedi 4 mai 2013.
La couverture annonce : MEXIQUE / CONJUNTOS / TACHYGRAPHE / CAMIONS / RIMBAUD / PHOTOGRAPHIE / BÂCHES / LYCORNE / REMORDS / LAPIS LAZULI / ELLROY / TRÉSORDURES / CONCORDE / POUBELLES / HÉLIUM / MÉSANGE.
Ce numéro est disponible : en kiosques et en librairies, au prix de 5 euros ; en vente en ligne ; en vente au format électronique (PDF) au prix de 4 euros.




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