vendredi 28 février 2014

Une autre histoire de garçon qui disparaît - Lisbon(s)

1206e jour - Je m’apprête à lire un livre qui commence ainsi :
David revenu à Lisbon.
Le bruit s’est répandu en quelques heures, venu d’on ne sait où, le premier mot, la première phrase bientôt repris, répétés sur tous les tons – cris, chuchotements, têtes d’enterrement, mines de conspirateurs, coups de fil intempestifs à en brouiller les lignes comme si le froid ne suffisait pas, le froid et les congères qui isolaient la ville.
Ce livre, c’est Plein hiver d’Hélène Gaudy. Il est publié chez Actes Sud.


J’ai lu ce nom de Lisbon (en quatrième de couverture, il est dit que la ville se situe dans le Nord des États-Unis) et j’ai voulu aller voir avant de m’engager dans la lecture.
J’ai découvert des Lisbon dans l’Iowa, le Dakota du Nord, le Connecticut, le Maine, l’Ohio (ordre des images ci-dessus)… Je ne sais pas lequel est celui du livre. D’être face à cette double inconnue (un nouveau livre à lire, une ville potentielle), littéralement, cela m’enchante.

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jeudi 27 février 2014

Vie de Christopher Robin - Bellevue


1205e jour - J’ai enquêté. Je n’ai rien trouvé sur Marla Pence qui, en 1967, avait placardé des avis de recherche dans San Francisco (post d’hier). Il semblerait, par contre, que Christopher Robin, le garçon qu’elle tentait de retrouver, n’ait pas totalement disparu.
Si l’on en croit un forum – All is One = mc2 ; For all who are on the Psychedelic Path –, il a traîné un temps à Haight-Ashbury, il a traîné ailleurs… Longue vie d’errance… Il zonerait aujourd'hui quelque part dans l’Idaho.



Toujours selon un des intervenants de ce forum, il n’aurait pas de téléphone, il serait un “born-again Christian”, actif dans la lutte contre l’avortement. Il serait confus dans ses propos… Il prétendrait par exemple avoir, dans le passé, beaucoup œuvré dans le renseignement, avoir collaboré avec des flics véreux… On ne sait s’il faut le croire.
Il est, de toute évidence, différentes façons de se perdre.

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mercredi 26 février 2014

En rampant vers Bethlehem - San Francisco, Portland


1204e jour - Je lis. Le texte a pour titre En rampant vers Bethlehem, il est de Joan Didion. Il a été publié pour la première fois en 1968 par Farrar, Straus & Giroux – elle pensait le livre comme un recueil de “choses vues”.
Joan Didion était journaliste. À en croire, sa page Wikipédia, elle est un auteur culte pour Bret Easton Ellis ou Jay McInerney. Dans En rampant vers Bethlehem, elle arpente les rues de Haight Ashbury, quartier hippie de San Francisco peuplé au cœur des années soixante d’enfants – quatorze, quinze ans – fugueurs, à la dérive. Herbe, Méthédrine, peyotl, mescaline, STP… La drogue est omniprésente.



Extrait :
Aucune trace de Deadeye ce jour-là dans Haight, et quelqu’un me dit que je le trouverai peut-être chez lui. Il est trois heures et Deadeye est au lit. Quelqu’un d’autre est endormi sur le canapé du salon, une fille dort par terre sous un poster d’Allen Ginsberg, et deux autres filles en pyjama sont en train de préparer du café instantané. L’une des filles me présente à leur ami allongé sur le canapé, lequel me tend la main mais ne se lève pas, car il est tout nu.

Plus tôt dans le livre, Joan Didion a relevé les mots d’une affichette dans Haight Street :
Le jour de Pâques
Mon Christopher Robin est parti.
Il a appelé le 10 avril
Mais aucune nouvelle depuis.
Il a dit qu’il rentrait
Mais il ne l’a pas fait

Si vous le voyez sur Haight
Dites-lui de ne pas tarder s’il vous plaît
J’ai besoin qu’il revienne maintenant
Je me fiche de savoir comment
Si c’est l’argent qu’il lui faut
Je le lui enverrai aussitôt.

S’il y a un espoir
Merci de me le faire savoir
S’il est toujours ici
Dites-lui combien je tiens à lui
Il faut que je sache où il est, c’est important
Car je l’aime tant !

          De tout cœur,
          Marla

Marla Pence
12702 NE. Multnomah
Portland, Ore. 97230
503/252-2720



Cette adresse, en fin d’appel, bien sûr, m’a donné envie d’aller voir… 12702 NE. Multnomah à Portland…
Des envies d’enquêter, de savoir ce que sont devenus Christopher Robin et Marla Pence. Et si l’un d’eux vit toujours dans les parages. Et s’ils savent aussi que Joan Didion leur a offert, avec son recueil, un semblant d’éternité.

L’Amérique, Chronique, Joan Didion, Éditions Grasset & Fasquelles, 2009 et Livre de Poche

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mardi 25 février 2014

L’histoire perdue - Brest, Oblast de Vologda







1203e jour - À Brest, j’ai aussi photographié des rondins de bois le long d’une église orthodoxe, la Sukhona, la rivière contre laquelle la ville est lovée. Et aussi un type que j’ai croisé à plusieurs reprises durant mon séjour et qui portait toujours le même tee-shirt, des enfants en goguette, une femme boudeuse (elle venait de se disputer avec son copain), visage fermé et lunettes de soleil.


J’ai aussi photographié la chaise sur laquelle avait l’habitude de s’installer un viel homme, gilet épais de laine malgré la chaleur, casquette de cuir usée vissée sur la tête.
Un soir où je m’étais posé à ses côtés, il m’avait raconté une histoire insensée où il était question de mer Noire, de contrebande, de filles de joie… Cette histoire, sur le champ, j’aurais dû la noter car aujourd'hui je m’aperçois désappointé que j’en ai totalement oublié le détail.

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lundi 24 février 2014

La vie en bleu - Brest, Oblast de Vologda


1202e jour - Hier, par hasard, effectuant du tri, je suis tombé sur des photos prises à brest, Oblast de Vologda. C’était il y a deux ans. Un séjour d’une semaine. À l’époque, j’avais rencontré Magda et sa fille Helena qui venait d’avoir un petit garçon.

Je ne sais plus trop comment nous en sommes venus à sympathiser. Toujours est-il qu’elles m’avaient invité à dîner. Ce qui m’avait frappé chez elles, c’était leur goût partagé du bleu. Elles ne portaient presque que des vêtements de cette couleur. La poussette de l’enfant était bleue. Et les deux voitures familiales aussi.
Même les maisons dans lesquelles elle habitaient étaient bleues – les deux maisons étaient mitoyennes ; Helena avait épousé le fils des voisins, elle vivait chez ses beaux-parents.

Quand je leur avais demandé pourquoi tout ce bleu, elles avaient ouvert de grands yeux. Elles étaient presque étonnées. Il n’y en avait pas tant que cela selon elles. Magda s’était tout de même sentie obligée d’ajouter, comme pour me faire plaisir : Tu es venu l’été, alors bien sûr il fait très beau. Mais l’hiver à Brest est long et sombre. Tout ce bleu, comme tu dis, c’est un peu du ciel de juillet qu’on fait durer.

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dimanche 23 février 2014

Natalia - Brest, Oblast de Vologda

1201e jour - Natalia…
Elle a toujours vécu ici – à Brest, Oblast de Vologda, pas très loin de Tcherepovets.
Quand la météo le permet, elle vient s’asseoir dans le square durant sa pause déjeuner. Elle lit des auteurs russes dont je n’ai jamais entendu parler. Ou alors, elle laisse juste son esprit vagabonder en croquant dans son sandwich. Et puis, à 13h45 précise, elle retourne à ses activités. Elle travaille à la comptabilité dans une des rares usines de la ville. Son métier ne l’amuse pas plus que ça mais vu le taux de chômage dans la région…
La première fois que je suis passé par le square, elle s’est étirée, les bras en croix, yeux fermés et expression benoîte sur le visage. Ça m’a marqué.
Le lendemain, par hasard, je me suis retrouvé à proximité, je l’ai aperçue. J’ai fait un détour pour passer devant elle. Me voyant traverser le square, elle a souri, comme si elle me reconnaissait.
Les jours suivants, je suis spécialement revenu faire un crochet par le square, par jeu. Nous avons commencé à nous saluer d’un signe de tête.


Hier, je me suis assis sur un banc de l’autre côté de la fontaine. L’air de rien, nous nous sommes mutuellement observés. Et puis, il a été 13h45. Elle s’est levée, a commencé à s’éloigner. Elle avait déjà fait une dizaine de mètres quand elle a fait volte-face pour venir se planter devant moi. Elle m’a demandé comment je m’appelais, ce que je faisais dans un trou paumé comme Brest. J’ai essayé de lui parler de mon amour pour Brest en Bretagne, ou d’expliquer mon goût de l’homonymie.
Je lui ai posé des questions sur elle bien sûr aussi. C’est là que j’ai appris son prénom, son métier, ses goûts en matière de littérature.
Notre conversation était plaisante mais elle l’a écourtée, comme à regret. Elle devait retourner travailler…
Aujourd'hui, je suis ailleurs, loin de Brest déjà. Et Natalia, elle, doit être, à l’heure où j’écris, assise sur son banc à se demander pourquoi je n’apparais pas.
Je suis sûr qu’elle m’attend.

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samedi 22 février 2014

Paris-Brest - Brest, Oblast de Vologda

1200e jour - Tanya est francophone. Elle travaille dans l’import-export à Vologda. Elle est revenue à Brest pour le week-end, pour voir ses parents. Elle explique : C’est une de mes tantes qui m’a donné les premiers rudiments de français alors que je n’étais qu’une enfant. Ensuite, j’ai appris à l’université. Je suis déjà allée à Paris, une fois, pour une semaine. C'était il y a deux ans. Un voyage en amoureux avec mon copain d’alors.
Elle dit : Je rêve d’y retourner. J’ai tant adoré la ville…
Elle ajoute : Ma tante, parce qu’on habitait ici, m’avait parlé du gâteau : le Paris-Brest. Elle m’avait parlé de votre Brest, aussi, sur la côté Atlantique. Mais moi, intérieurement, j’avais décrété que le Brest du gâteau était celui où je vivais ! Je trouvais l’idée vraiment merveilleuse. Paris, à l’époque, semblait si inaccessible… Bref, quand je suis allé à Paris, une des premières choses que j’ai fait ça a été de rentrer dans une boulangerie. Pour acheter un Paris-Brest ! Pour voir. Enfin ! Et bien sûr, ce n’était pas du tout ce que j’avais imaginé.

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vendredi 21 février 2014

Un homme et une femme (2) - Brest, Oblast de Vologda

1199e jour - Je pensais qu’ils étaient amants et je viens d’apprendre ce matin qu’ils sont, en réalité, frère et sœur.
S’ils viennent, chaque début d’après-midi, c’est pour visiter leur mère qui est mourante. Ils restent une bonne heure. Et puis ils repartent. Ils habitent l’un comme l’autre à Vologda qui n’est pas tout à fait à côté (une soixantaine de kilomètres séparent les deux villes).
Durant les trajets, ils n’échangent le moindre mot. Ils ne se parlent plus, en fait, depuis deux ans suite à une sombre histoire d’héritage. Mais ils aiment leur mère. Devant elle, ils tiennent à faire bonne figure. Elle peut se rassurer en imaginant avoir des enfants unis.

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jeudi 20 février 2014

Un homme et une femme - Brest, Oblast de Vologda

1198e jour - Tous les jours, depuis mon arrivée, je les vois passer par là. En début d’après-midi. Avec toujours cette distance entre leurs deux corps – similaire à celle qu’adoptent de façon conventionnelle le client et la prostituée des rues parisiennes.
Jamais ils ne se tiennent la main. Jamais ils ne discutent. Ils progressent en silence. Ils suivent la route de terre. Ils finissent par pousser un portail un peu plus loin sur la droite. Au delà de ce portail, difficile de dire ce qu’ils font.
Je soupçonne une relation adultérine. J'aimerais savoir qui ils sont l’un pour l’autre.
Dans une ville de la taille de Brest (presque un village), tout finit par se savoir. Je vais demander autour de moi. J’ai bon espoir d’être bientôt éclairé.

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mercredi 19 février 2014

C’est ici, physiquement, qu’il est en train de naître - Sofia


1197e jour - C’est ici, physiquement, qu’il est en train de naître, dans une usine posée sur une bande de terre. Le long d’une voie rapide. Entre deux cités, pas très loin d’une centrale. À la périphérie de Sofia.



Les machines tournent et je suis là, dehors, à déambuler. Je me demande où déjeunent les gens de l’imprimerie quand ils ne se nourrissent pas d’une gamelle préparée à l’avance.



La couverture est imprimée déjà. Au dos figure un extrait. Ça commence comme ça :
J'ai poursuivi ma virée en ville. Dans Broadway Street, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans une boutique de prêteur sur gage – c’était un tout petit établissement collé à un atelier de cordonnier ; c’est peut-être parce que c’était petit que j’ai osé rentrer…



Bientôt un camion viendra se poster sur un des quais pour charger des palettes. Ensuite, ce sera : Bulgarie, Serbie, Bosnie Herzégovine, Croatie, Slovénie, Italie, France… Le voyage virtuel, au moins pour le papier, sera devenu réel.

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mardi 18 février 2014

Les toitures asymétriques - Skocjan

1196e jour - Dans la région du Karst, au sud-ouest de la Slovénie, j’ai croisé un certain nombre (pour ne pas dire un nombre certain) de toits asymétriques – comme si quelqu’un, un beau jour, avait décidé de sortir la tronçonneuse et, zip, avait fait disparaître une portion du faîte. Les bâtiments (souvent des granges mais pas que) semblent, du coup, délicieusement en déséquilibre.

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lundi 17 février 2014

Collusion des espaces - Skocjan

1195e jour - Un chemin à proximité de Skocjan, pas très loin des grottes du même nom, inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les grottes sont, paraît-il, impressionnantes mais je ne les ai pas visitées. J’ai préféré me promener dans la campagne. En plein air.
J’ai marché les yeux en grande part tournés vers le sol, pour collecter les traces du passage des hommes. J’ai trouvé des capsules de bière (Union, Lasko ou Heineken), un emballage couvert de terre (une marque était lisible malgré tout : Eksplor).

Plus loin, coup de chance, j’ai découvert une page arrachée à un magazine pour adultes, une image plein pot – un bord écorné, une pliure au centre, des traces laissées par les vagues successives de rosées.
Sur la photo, une fille prise en contre-plongée, vingt ans à peine, brune, longiligne, sans doute refaite, sort d’une baignoire – corps humide, mousse sur les épaules et sexe épilé.
J‘ai attrapé la page délicatement, par un de ses coins, pour la retourner. Figurait au verso une publicité pour des Dvds truffée de mots anglais : cumshot, handjob, mature, big tits…
Je suis revenu au recto, à la fille sortant du bain. Je l’ai déposée dans l’herbe, dans la lumière, au milieu des pâquerettes. En prenant garde de ne pas projeter mon ombre, je l’ai photographiée. Et puis, parce qu’il le fallait bien, j’ai poursuivi ma route.

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dimanche 16 février 2014

À longueur de temps, je croise des gens - Kocevje



1194e jour - À longueur de temps, je croise des gens. Cela ne dure qu’une poignée de secondes. Et puis, ils disparaissent à tout jamais.
Je ne sais rien d’eux. J’essaye d’imaginer – j’essaye d’imaginer leurs jardins secrets, leurs failles, leurs façons d’habiter le monde.



J’ai l’impression, agissant ainsi, d’établir de micro-connexions avec eux, un semblant de contact.
Il m’arrive aussi de jouer à leur donner un prénom. Je les baptise : Aleksij, Aneta, Bjanka, Davor… L’exercice n’est pas anodin. Ces prénoms sont des passerelles. Ou plutôt : des portes que j’imagine pouvoir me permettre d’accéder à une part de leur vérité.

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