jeudi 29 janvier 2015

La femme à la chaise longue - Kuurne



1508e jour - Elle aussi replonge dans le passé, elle ressasse. C’était il y a maintenant bien longtemps, en avril 84 pour être exact. Elle s’était fait prendre en stop avec son fils qui avait douze ans à l’époque. Ils étaient de retour de Gent où habitait sa sœur. Ils auraient dû prendre un train mais il y avait une grève ce jour-là. Alors ils avaient fait du stop. Ils s’étaient retrouvés passagers d’un semi-remorque.
Le chauffeur était sympa mais fatigué, suffisamment pour manquer de réflexes.
Il y avait eu l’accident. Camion contre camion. Elle, indemne. Le chauffeur mort. Et son fils dans le coma.
Les médecins étaient très réservés sur ses chances de s’en sortir. Et puis voilà, au bout d’une quinzaine de jours, il s’était réveillé. Le lendemain, il avait demandé un crayon, une feuille. D’une main encore tremblante, il s’était mis à griffonner des schémas tactiques de football.
Toute sa convalescence, il avait rempli des cahiers de 4-3-3, de 4-2-4, de 5-3-2… Elle ne lui avait jamais vu faire pareils dessins auparavant.
Il poursuivit quand il revint à une vie “normale”. Une obsession. Dès qu’il avait deux minutes, il sortait ses carnets…
Il ne chercha même pas à devenir footballeur lui-même. Non, ce qui l’intéressait c’était de devenir entraîneur.
Elle pense à tout ça en prenant le soleil sur son balcon : à la carrière, ensuite, de celui qui pour elle est toujours le “gamin”. La Première League, le championnat espagnol… La gloire, l’argent… Et elle, seule, à Kuurne, périphérie de Courtrai, dans un appartement de
26 mètres carré à peine, dans une résidence certes confortable mais située au milieu de nulle part, face à un terrain vague, alors que son fils, lui, à cause de ce putain d’accident, traîne aujourd’hui dans des palaces.

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