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jeudi 22 mars 2018

La fille de la place - Krasnoïarsk






2149e jour - Il dit : elle était seule sur la place au milieu des visiteurs du marché. Malgré le froid, elle ne bougeait pas. C’est dingue mais j’ai pensé : c’est moi qu’elle attend ! Je suis allé lui parler. Elle n’a pas eu l’air surprise quand je l’ai abordée. Après m’avoir demandé d’où je venais, elle m’a expliqué que si elle était là, elle, dehors, c’était pour réfléchir. Elle était comédienne. Elle était en train de répéter dans le théâtre qui donnait son nom à la place. Elle a montré la façade d’une main gantée. Elle a dit : si je suis sortie c’est pour me mettre les idées au clair mais là je crois que ça va. Je vais y retourner. Tu veux venir voir ?
C’était la toute première répétition. Le décor n’était pas encore monté. Elle m’a proposé de m’installer dans les premiers rangs avant de se diriger, elle, sans se presser, vers la scène où l’attendaient ses comparses. Il faisait chaud dans le théâtre, incroyablement par rapport au dehors. Les comédiens se sont lancés dans ce qui semblait être une sorte d’improvisation, avec parfois d’interminables silences.
Plus tard, la femme qui mettait en scène s’est endormie, elle s’est mise à ronfler mais personne n’a semblé le remarquer.
Une fois les répétitions terminées, la comédienne s’est précipitée vers moi : alors, ça t’a plu ? Et avant même que j’ai pu acquiescer, elle a ajouté : allez, viens, on sort ! Je connais un bar à chicha. Ce n’est pas “à côté à côté” (elle a mis des guillemets d’intention) mais les gens sont très sympas, tu verras. Elle m’a tiré par le bras, j’ai suivi. Il était tard déjà, peut-être une heure du matin. Nous avons marché un bon quart d’heure dans la nuit sibérienne. Une des filles qui bossait au théâtre nous accompagnait. Elle ne semblait pas étonnée de ma présence à leurs côtés. Elle ne m’a pas particulièrement posé de questions pour savoir qui j’étais.
Le bar à chicha était installé au rez de chaussée d’une de ces barres, vestiges de l’ère soviétique. À l’intérieur, comme au théâtre, il faisait incroyablement chaud et moite. Elle m’a proposé de m’asseoir en face d’elle, remarquant : ça me plait d’avoir face à moi tes yeux souriants.
Nous avons bu et fumé. Longtemps. La dernière chose dont je me souvienne de cette nuit c’est son visage perdu derrière un nuage de vapeur avant qu’elle n’éclate de rire, qu’elle ne constate, enjouée : on ne se connaît pas, hein ? Et pourtant !

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