1076e jour - Pendant des années, elle s'est tenue là. Tous les jours – absolument tous les jours.
Elle était connue de tous dans le quartier. On ne savait que son prénom (ce que l'on supposait être son prénom). On l'appelait Jeanne – ou madame Jeanne (le "madame” étant, de toute évidence, une forme de respect).
C'était un puits de science. Vraiment. Dans des domaines aussi variés que la cybernétique, l'économie ou le génie génétique.
Mais là où elle impressionnait son monde, c'était avec sa connaissance de l’opéra. Il suffisait que l'on cite le titre d'une œuvre, Madame Butterfly ou la Flûte enchantée, pour qu'elle se mette à chanter. Toujours très juste.
Elle semblait connaître tous les airs, toutes les paroles… Les gens spontanément s'arrêtaient. Et finissaient par déposer une pièce à ses pieds. Mais ce n'était pas ce qu'elle recherchait. il arrivait même que, les pièces, elle ne les ramasse pas.
Des bruits courraient sur son passé : un amour trop tôt disparu, une triste destinée. La rumeur voulait qu'elle ait été chanteuse d'opéra. On l'imaginait sur scène, à la Scala ou à Garnier.
Plus d'une fois, j'ai essayé de la faire parler de sa vie d'avant. Mais je n'y suis jamais parvenu.
Elle quittait les lieux vers 19 heures (elle disait : Bon, allez, c'est pas tout, il faut que j'y aille, moi). On ne savait pas où elle passait ses nuits, où elle dormait. Plus d'une fois, j'ai failli la suivre pour savoir. Mais je n'ai jamais osé.
Et puis, un jour elle n'a plus été là. On a pensé qu'elle réapparaîtrait bientôt. Mais non. Elle n'est jamais revenue.
C'était fin juin, en 2010.
Cela fait maintenant trois ans qu'on est sans nouvelles d'elle.
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