Pages

vendredi 5 avril 2013

Vases communicants / Piero Cohen-Hadria


995e jour de voyage - Je laisse pour la journée les clés de la maison Dreamlands 
à Piero Cohen-Hadria qui m'accueille pour sa part, grande fierté pour moi, sur Pendant le Week-end

//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////


Des deux gares. 


(aux photos qui suivent, ne pas se fier : elles ne montrent qu’une vision ensoleillée d’une ville qui n’en est certes pas généreuse) (je ne dirais cependant pas que je voue à ce lieu une haine compulsive, je n’y vécus qu’une dizaine d’années, et peut-être ces années-là, de huit à dix huit ans, sont-elles les meilleures d’une vie). 

Du temps où j’y vivais, cette ville (n’)avait (que) deux gares. L’une, qu’on ne nommait que « la gare » (« on va chercher les filles à la gare » ou d’autres encore), l’autre qui ne servait pas, qui s’appelait la gare Saint Roch (me fait penser aujourd’hui à ce chanteur, Roch Voisine


et puis après je pense au rock’n’roll, mais on voit bien que l’esprit divague et passe d’un âne au coq et vice versa sans vraiment qu’on le lui demande).
Sur la place de la gare s’élève une tour.

C’est du béton. Armé. Et toute l’enceinte de la gare est de la même eau : ce gris formidablement accablant qui, mêlé au climat passablement délétère, rend la vie dans cette cité un peu insupportable (semblable au Havre, dû au même architecte en amour du matériau). On avait dix ans, on n’en avait pas conscience, le temps et la météo, quand on a cet âge-là, on s’en fiche comme nous à présent de l’an quarante (ça veut dire quoi, l’an quarante d’ailleurs ?). 
La gare était à ciel ouvert comme à peu près ici.



Tout est faux dans cette illustration, sauf cette sorte de haricot orange qu’on voit bord cadre en bas, là, à gauche, c’est un cinéma. Multiplexe en pleine ville, oui. Avant c’était un garage citron (« la marque au chevron »), mais ça a changé, faut croire. On imagine ce qu’apporte une telle architecture à l’esthétique de la place, d’autant plus qu’on a jugé bon, il y a peut-être quelques années, je ne sais pas bien, d’adjoindre à cette place de « la gare » donc, une sorte de treillis (ils vont nous le baptiser « canopée » jte parie)



qui recouvre la presque entièreté du quadrilatère



qu’on voit ici de dessus (les photos du robot datent un peu). 
Jamais alors je n’allais jusque la gare en vélo (le centre ville n’était pas piétonnier comme partout de nos jours –une sorte d’abjection qui dégoûte de se promener- et les voitures avaient toute la maîtrise des chaussées) : il m’est arrivé de descendre jusqu’au cirque en dur (on l’a nommé « Jules Verne » - et on se demande ce qui ne porte pas le nom de Jules Verne dans cette ville)

non loin duquel j’allais me faire soigner les yeux. 
C’était ici

mais, comme on voit, plus de plaque « profession libérale » pour l’orthoptiste que j’allais consulter (sur mon œil droit, elle plaçait un obturateur, j’étais en septième – c’est le cour moyen 2, aujourd’hui, CM2 si on préfère – et comme j’étais assez bon en calcul mental – calcul mental, quand on y pense, quelle spécialité…- l’instituteur, il s’appelait Leullier – je balance, là, je reconnais, attaque ad hominem-  suggérait aux cancres en maths-calcul-mental d’en porter un aussi et pourquoi pas même deux pour ce que ça changerait, je ne comprenais pas ce cynisme ni cette haine pour ceux qui ne savaient déceler à la seconde indiquer que sept fois douze faisaient (sept-fois-un-sept-fois-deux-quatorze) quatre vingt quatre – et font toujours d’ailleurs). 
Cette époque où je ne prenais pas mon vélo, non, plus pour aller au jouer au tennis 

en haut de cette rue dont je ne connais plus le nom, mais où vivait un de mes meilleurs amis d’alors et d’aujourd’hui, il me semble, car la descente vers les courts était bien trop abrupte (j’ai vaguement le souvenir de m’être étalé une fois, peut-être, alors pour cette descente : gare… !). 


Addenda du troisième millénaire.
Depuis, le lieu s’est enrichi d’une troisième évolution, très grande vitesse aidant. On trouvera l’annexe donc de la gare nommée avec une élégance historiquement agricole « la gare à betteraves » située à quelque quarante kilomètres à l’est de la principale. On y accède par une route droite comme la justice et l’ordre réunis. Les édiles élitistes l’ont intitulées « TGV Haute Picardie » comme si le qualificatif avait quelque chose à raconter. La gare est ce rectangle blanc qu’on discerne au presque centre de l’image, on  parvient à voir la voie de chemin de fer qui poursuit sans jamais l’atteindre l’autoroute A1.

Le lieu a quelque chose de fantomatique, et sur terre, il n’a aucune originalité, un hangar entouré de places de stationnement pour automobiles. 

A pleurer : le modernisme installé. 
Alors partir, oui. 
S’en aller, s’enfuir et derrière soi laisser le passé. 

_______________________________________________________________________

Texte et images de Piero Cohen-Hadria.
Si vous voulez retrouver mon voyage du jour, il vous faut vous rendre maintenant sur Pendant le week-end.
Cet échange se passe dans le cadre du projet des Vases communicants : “Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.”