206e jour - Je cherche les parkings, les no man’s lands, les zones d’activité. Je cherche le patrimoine industriel : les pipelines, les citernes, les usines, les centrales électriques...
Je cherche les stations essence et les cabines téléphoniques, les boîtes aux lettres.
Je cherche ce qui est devenu commun au monde entier : les chaises de jardin aussi bien que les enseignes des multinationales omniprésentes (Coca, Mc Do...).
Je cherche les éléments de signalisation, les panneaux, les feux, les marquages au sol.
Je cherche les tas de gravats, les sacs poubelles, les containers à ordures, les décharges improvisées, les objets – télés, canapés... – abandonnés à la rue.
Je cherche les caddies, les fauteuils roulants... tous ces objets qui apparaissent parfois dans le paysage et qui sont suffisamment “atypiques” pour être remarqués.
Je cherche les envols d’oiseaux, les traînées de condensations qui balafrent le ciel, les avions qui décollent ou atterrissent.
Je cherche les jours de pluie, les couchers de soleil et les rares visions crépusculaires.
Je cherche les lieux photographiés par d’autres – pour confronter mon regard au leur, pour voir les marques du passage du temps et ce qu’elles signifient.
Je cherche à imaginer des vies qui ne sont pas la mienne à partir de bribes grappillées forcément dérisoires. J’avance dans une rue, je croise des individus dont je ne sais rien. J’essaye de tracer des vecteurs entre eux, des flèches : j’imagine des amitiés possibles, des relations de voisinage. Et ce que ça implique, une relation de voisinage, quand on habite un bourg perdu proche du cercle arctique ou une banlieue quelque part dans le Montana ou le Massachusetts.
Je cherche l’instant de grâce, celui dont rêve tout photographe : celui où s’allient pour faire une image, lumière, cadre et action.
Je cherche à me confronter aux limites d’un appareil formel contraignant. Je fais avec cette caméra de peu, de beaucoup : StreetView – des panoramiques, des déformations, des objectifs inchangés/inchangeables, des imperfections, des flous de masquage, des limites de résolution parfois.
Je fais aussi avec les vides et les pleins que cela implique. Avec la frustration de savoir que je rate parfois de quelques décimètres à peine le sublime (impossible de se glisser dans les interstices entre les différentes images). C’est une frustration en fait, mais aussi un plaisir - un plaisir certes un peu retors mais immense.